
Gardien de l’Égypte Antique
« Aaaaaaaaaaah enfiiiiiiiiiiin…»
Sans aucune hésitation, je mis ma patte dans l’eau, sur la première marche de l’immense bassin. Une sensation de quiétude et de bien-être intense m’envahit instantanément, telle une immense vague réconfortante se propageant depuis le bout de mes griffes jusqu’à la dernière touffe de poil de ma crinière. Le contact de ce liquide divin sur mon pelage me procura une telle énergie… je me sentis revigoré, purifié. Il ne me fallut que peu de temps pour immerger ma deuxième patte sous la surface du liquide clair, de descendre une par une, délicatement et avec légèreté, toutes les marches de ce bassin d’eau pure.
Le bassin de la Salle de la Purification était sans conteste l’un des mes endroits préférés au sein de la citadelle. La pièce était spacieuse, majestueuse, lumineuse ; contrairement au reste du palais, aucune torche ou brasero n’était disposé le long des murs ; c’étaient les hiéroglyphes, gravés des millénaires plus tôt dans les murs de granit parfaitement lisse, qui dissipaient une douce lumière rassurante. Il en résultait une atmosphère sereine et paisible, accueillante et chaleureuse. D’immenses obélisques entouraient le bassin central ; les mots qui y étaient inscrits diffusaient chaleur, plénitude et bien-être à tous ceux qui pénétraient dans cette pièce. Mais le plus majestueux élément de ce décor restait le bassin lui-même ; l’eau qui y clapotait doucement était d'un blanc opaque ; les remous qui en émanaient était surnaturels, comme s’il s’agissait d’un parfait mélange entre liquide, vent et lumière. Si l'on y prêtait une plus grande attention, on se rendait compte que l'eau était en réalité la condensation d'innombrables microscopiques hiéroglyphes entrelacés, qui s'entrechoquaient les uns contre les autres dans une sorte de tumulte ordonné. Une brume scintillante s’élevait de la mixture étrange, et s’échappait lentement au travers d’une ouverture dans le plafond qui donnait sur le ciel lui-même.
Décidément… les mortels n’avaient pas de chance. Ou alors les dieux en avaient trop. En effet, seuls ces derniers avaient accès à cette partie de l’immense citadelle ; même les pharaons, en tant que premiers intermédiaires entre divinités et mortels, ne disposaient pas du droit de pénétrer dans les quartiers résidentiels divins. Certains humains avaient essayé évidemment, au cours de notre Histoire… Aucun n’en était revenu indemne, malheureusement. Encore une fois, les dieux étaient impitoyables quand il s’agissait de leurs règles.
Chassant de mon esprit ces réflexions, je m’immergeai presque entièrement dans le bassin, l’eau arrivant au niveau de ma poitrine. Je passai ma main mouillée dans ma crinière à plusieurs reprises, prenant un malin plaisir à la rendre certes humide mais étonnamment douce et soyeuse. Puis je m’accoudai par-dessus le rebord de la piscine, faisant doucement rouler mes épaules, décontractant chaque muscle avec un immense bonheur. Je pris le temps d’étirer mes bras et mes jambes dans l’eau, profitant de l’effet bénéfique du liquide pur sur mon corps. Finalement je fermai les yeux, la tête vers le ciel, et profitait enfin d’un moment de repos bien mérité, écoutant le silence et la quiétude de la pièce.
Papa m’avait conseillé – ou plutôt ordonné gentiment – de venir prendre un bain dans cette pièce. La journée avait été longue et épuisante, et il avait jugé indispensable que je me repose avant la nuit noire. En tant que protecteurs du royaume, mon père Anhur et moi-même avons pour charge de continuellement assurer la sécurité de nos frontières... mais également de dissiper les querelles internes. Et en Ancienne Égypte, les disputes entre dieux sont incroyablement fréquentes... Aujourd'hui par exemple, une nouvelle dispute avait éclaté en pleine assemblée divine entre Horus et Seth, et une fois de plus il avait fallu maîtriser la situation... par la force si nécessaire.
Évidemment, ces deux abrutis n'en étaient pas restés là ; j'avais dû me rendre dans un village proche de mon bien-aimé Nil, dont les eaux avaient pris une mystérieuse teinte rouge sang, Seth ayant "malencontreusement" versé du poison dans les eaux du fleuve. Le dieu du Chaos avait également déclenché de puissantes tempêtes de sable à l'Ouest et au Nord, probablement pour libérer un peu de se frustration.
De son côté, mon père avait enquêté toute la journée sur de nombreux axes commerciaux : les caravanes de passage dans tout le royaume avaient dû être déviés en certains points à cause d'importants tremblements de terre. Papa avait réussi à pister et à retrouver les responsables - des éclaireurs ennemis, étrangers à notre Monde. Fort heureusement pour eux, mon père n'était pas un dieu cruel. Il les avait laissé repartir d'où ils venaient. Cela étant dit, il leur avait clairement fait comprendre qu'ils n'auront jamais le droit à une deuxième chance…
Je me levai dans le bassin, pris une grande inspiration puis plongeai, nageant d'un bout à l'autre sous la surface. Agrippant la paroi opposée, je ressortis de l'eau... et me retrouvai museau à museau avec...
"Salut chaton... tu fais trempette sans moi ?".
Avant de pouvoir répondre, je me pris en pleine figure une giclée d'eau ; toussant et crachotant le liquide que j'avais dans la gueule, je relevai la tête et reconnu Bastet, ma tante.
"Oups! On dirait que j'ai visé juste", pouffa-t-elle avec un sourire malicieux alors que je recrachais encore un peu d'eau.
D'une beauté à couper le souffle, la déesse à tête de chat était l'une des personnes les plus espiègles et exaspérantes que je connaissais. Vêtue de fins vêtements en lin et d'innombrables bijoux inestimables, son corps parfait était facilement discernable sous les tissus, et elle laissait ostensiblement voir une partie de sa poitrine. Cette attitude était habituelle chez elle : Bastet passait beaucoup de temps à s'amuser à courtiser les hommes, malgré les restrictions de contact entre mortels et divinités. Elle était une sacrée championne en terme de sous-entendus, et elle me faisait souvent beaucoup de commentaires explicites. Mais malgré ces remarques gênantes, je l'aimais beaucoup. Pour sa loyauté et son courage, lorsqu'elle nous aidait à défendre la barque volante du dieu-Soleil lors de la traversée de la Douât, le royaume des Morts : chaque nuit, à bord de l'embarcation, son agilité au combat était impressionnante et sans elle, le monde aurait sombré dans le chaos depuis une éternité.
Je l’appréciais également pour ce qu'elle représentait, ce qu'elle défendait : malgré son comportement volontairement provocateur et aguicheur envers la gente masculine, elle demeurait la plus grande défenseuse des droits des femmes... et des félins. C'était une déesse farouche, féminine et fière de l'être, qui ne se laissait pas marcher sur les pattes par les dieux mâles du Panthéon. Elle protégeait les mères comme si elles étaient ses filles, et traitait les chats comme ses enfants adorés. Malheur arrivait à celui qui menaçait ses protégés, car la mignonne et douce Bastet se transformait alors en un gigantesque félin aussi violent que Sekhmet.
Et enfin... je l'aimais pour tout ce qu'elle avait fait pour moi. Quand je n’étais encore qu’un lionceau, elle s'était beaucoup occupée de moi... un peu comme une vraie mère. Je lui devais une partie de mon éducation. A l'époque, elle avait dû sentir que j'avais besoin d'elle. Après tout, elle était présente lorsque...
Je secouai la tête en fermant les yeux, chassant des souvenirs douloureux de mes pensées. Je les rouvris et m'adressai à ma tante toujours assise au bord, qui me dévisageait avec intérêt.
"Salut, Bas’. Qu'est-ce que tu fais ici ?", lui demandais-je tout en lissant ma crinière toujours mouillée.
"Je reviens tout juste du monde moderne", dit-elle avec un nouveau sourire en coin extrêmement espiègle. "Je comprends pourquoi tu y passes le plus clair de ton temps, mon petit lion, c'est un endroit parfait pour s'amuser!".
"Je ne fais pas que m'y amuser Bas', j'y travaille aussi! Et surtout... tu sais bien, j'accompagne et je protège mon bien-aimé hôte là-bas, on fait tout ensemble!"
Dans les yeux de la déesse passa un subtil mélange de sentiments. Elle passa la main machinalement sur ses bijoux et dans sa fourrure, visiblement en pleine réflexion. Alors qu'elle me dévisageait, son expression exprimait un curieux mélange : une bouffée de fierté mélangée à un puissant élan d'amour et d'affection. Quand elle reprit la parole, sa voix était particulièrement douce.
"Je suis fière de toi. Vraiment. Te voir t'occuper d'un chaton avec autant de soin...", commença-t-elle.
Je voyais très clairement le cheminement de sa pensée. C'était sa fibre maternelle et protectrice qui parlait. Me voir faire pour mon hôte humain ce qu'elle-même avait fait pour moi étant un lionceau la remplissait de joie et de fierté. Elle prit un air très sérieux. "Aaron, si jamais vous avez besoin de moi... si jamais il y a quoi que ce soit que je puisses faire pour vous aider... je serai là. Je te le promets, mon cher lion".
"Je...", débutais-je sans trop savoir quoi dire. "Merci beaucoup, Bas'. Je m'en souviendrai", lui promis-je.
Un court silence s'installa, rompu uniquement par le clapotement de l'eau divine.
"Je peux savoir ce que tu fabriques dans le monde moderne ?, ais-je repris, curieux. Qui donc as-tu tourmenté cette fois-ci ?".
"Moi, tourmenter?", dit-elle avec un air faussement offensé". "Alors non, jeune lion, je ne tourmente point... je procure du plaisir", dit-elle avec un nouveau voile de sous-entendu explicite. "En Égypte, tout le monde me connaît, il ne reste que trop peu d'hommes qui tombent dans le panneau ! Alors que là-bas... nous sommes des mythes... Les gens n'ont pas la moindre idée de la réelle nature de cette petite chatte qu'ils viennent d'adopter..."
"Attends un peu... tu es en train de me dire... que tu te laisses adopter?!", m'exclamais-je, pensant à ma tante enfermée dans une cage pour chat, miaulant pour sortir. "C'est donc ça ta tactique d'approche des hommes?", continuais-je, refrénant une immense envie de rire.
"Absolument!", affirma-t-elle d'un ton parfaitement sérieux. "Écoute chaton, il y a tellement d'hommes à contenter là-bas... Et puis c'est amusant de voir leur visage ahuri quand j'apparais..."
Sa remarque me fit exploser de rire. Je pouvais très facilement imaginer la tête d’un mortel écarquiller les yeux alors que devant lui, sa nouvelle petite chatte à l'abandon, avec son petit collier rose et ses yeux innocents, prenait tout à coup l’apparence d'une femme-chat divine.
"Puis après l'étonnement, ils font une autre tête... Bon j'avoue, le lit de ce dernier monsieur que j'ai visité n’était pas si confortable...", dit-elle avec un petit sourire énigmatique.
"Je... Peu importe", répondais-je en m'apprêtant à me lever dans le bassin avant de réaliser que j'étais nu - heureusement, les hiéroglyphes formant l'eau étaient suffisamment opaques pour cacher le bas de mon corps.
"Wouaaaou!", s'exclama-t-elle en me voyant me redresser. "Dis donc, lionceau, t'as un sacré attirail sur toi", poursuivit-elle en contemplant mon torse. "ça m'étonnes que tu n’aie pas encore trouver ta lionne, Aaron, avec ce beau corps que tu as..."
Elle observait avec grand intérêt les contours de ma musculature, et avait adopté un ton tendancieux. Son regard pétillait de malice et de désir...
"N'y pense même pas", grommelais-je.
"Tu fais le gros lion sauvage pour m'impressionner, chaton ? Mais ça ne te rend que plus...
"STOP!", rugissais-je pour couper court. "Je ne veux pas en savoir plus!", grommelais-je.
Elle éclata de rire. Ce qu'elle pouvait être exaspérante, tatie, parfois...
"Breeeeeef!", continua-t-elle tout sourire, comme si de rien n'était. "Je suis rentré au pays, j'ai croisé ton père qui m'a dit qu'il y avait encore eu du grabuge avec Horus et Seth...
"... qui ressemblent à deux gros matous qui se chamaillent un bout de territoire", la coupais-je avec un petit clin d’œil complice.
Cette remarque la fit énormément sourire. Elle s'apprêtait à répondre mais se tut soudainement, regardant aux alentours avec inquiétude. Dans le même temps, la voix de mon père résonna dans ma tête. "Aaron, il faut que tu viennes au plus vite. Rejoins-moi dans la Salle de la Carte."
"J'arrive tout de suite, papa", lui promis-je immédiatement par la voie de la pensée. L'air soudain sérieux et concentré de Bastet me fit comprendre qu'elle était convié également. Tout cela n'annonçait rien de bon.
"On se rejoint là-bas, chaton", me dit-elle en bondissant et en sortant de la pièce en quelques pas - non sans m'ébouriffer la crinière avec sa queue.
Je sortis du bassin, pris quelques dizaines de secondes pour me sécher et enfiler mes vêtements en soie blanche, avant de sortir de la pièce. Je parcourus les couloirs en direction de la Salle de la Carte et y pénétrai ; le tumulte des conversations qui en émanait me fit légèrement grincer les dents.
La pièce était spacieuse, avec un plafond haut, maintenu par d'immenses piliers gravés de hiéroglyphes inspirant bravoure, honneur et courage. D'immenses braseros s'étalaient le long des murs, entre lesquels étaient disposées des tables sur lesquels reposaient des papyrus décrivant l'état de nos armées. Elle était plongée dans une semi-obscurité, ce qui donnait à l'ensemble de la scène une atmosphère de combativité et d'action, les dieux présents discutant avec ferveur et excitation.
Au centre de la salle, une immense représentation scintillante de notre royaume flamboyait. Tout y était indiqué en temps réel, de la capitale aux villes et aux villages, en passant par les temples, les sanctuaires et les pyramides perdus en plein milieu des étendues sablées. La carte décrivait la topographie exacte des lieux : le Nil, les reliefs du paysage, les oasis, les routes marchandes. Bien que précise et détaillée, la représentation demeurait incomplète, car notre monde s'étendait à perte de vue et semblait infini ; les bords étaient nimbés de brume. Seuls certains dieux connaissaient la vérité concernant les limites précises de nos terres - par exemple Geb et Nout , dieu et déesse de la Terre et du Ciel respectivement ; Ra évidemment, qui apportait la lumière au royaume lors de sa traversée journalière du ciel ; et enfin Thot, à qui presque aucune connaissance n'échappait.
Moi-même, je connaissais parfaitement tout le royaume jusque dans ses moindres recoins, toutes les caches, toutes les astuces du terrain que j'utilisais à mon avantage lors des incursions ennemis. Pourtant, jamais je n'avais atteint les limites au-delà du désert. Plus jeune, j'avais déjà tenté de longues épopées dans les étendues sablées, avec l'autorisation de mon père. Mais jamais je n'avais pu voir une quelconque limite au désert. Elles étaient comme inatteignables... même pour des divinités.
En entrant dans la pièce, je reconnus Seth adossé contre un obélisque. Avec son attitude fière et légèrement arrogante, il observait avec une moue dédaigneuse Horus, les deux mains sur les bords de la carte, observant méticuleusement la situation du monde. Je ne voyais nulle part sa mère Isis... Que manigançait-elle encore, celle-là ? Plus loin, je reconnaissais d'autres membres du Panthéon : Thoth et Neith par ci, Sobek et Serqet par là. Anubis, lui, était accoudé au balcon, et regardait la crépuscule d'un air mélancolique et pensif.
Mon père Anhur, sa lance à la main, était tout proche d'Horus. Il était plongé dans une grande conversation avec Maât et son fils, tous trois engoncés dans leurs armures respectives. A mon entrée, je sentis une main sur mon épaule droite : Bastet s'était silencieusement glissé à mes côtés. Elle avait troqué ses vêtements fins avec sa tenue de combat légère, ses dagues accrochés à sa ceinture. A notre arrivée, mon père fit un signe de la tête à ses interlocuteurs, semblant avoir trouvé un terrain d'entente. Ceux-ci disparurent dans un nuage de poussière et de sable, rapidement imités par la plupart des dieux présents.
"Merci d'être venus si vite, vous deux", commença mon père qui m'étreignit dans son étreinte puissante mais chaleureuse. "Tu as pu te reposer un peu, Aaron ?".
"Un peu... mais j'ai rapidement été dérangé", fis-je nonchalamment, lançant un regard amusé à Bastet qui répondit avec un clin d’œil. "Je vais bien papa, ne t'inquiète pas, dis-moi ce qu'il se passe".
Je jetai un regard sur la carte du royaume ; je remarquai alors plusieurs zones rougeâtres, loin de la capitale... Des portails, pensai-je en observant qu'il s'agissait de spirales d'énergie tendant à former peu à peu des sortes d'arches. En y regardant de plus près, je remarquai que des créatures s'en échappaient, des créatures créées à l'image de...
"Tiamat", conclut mon père qui observait le cheminement de mes pensées au travers de mes yeux et de leur expression.
Je grognai de colère. Tiamat... Cette déesse mésopotamienne des Eaux Primordiales cherchait à conquérir les mondes - pour les purifier, selon elle. Les purifier de la présence des autres Panthéons qu'elle jugait corrompus. Cette saleté narcissique et prétentieuse voulait rebâtir les différents mondes à son image. Plusieurs fois par le passé, elle avait envoyé ses hordes de créatures envahir nos terres. Cela avait donné lieu à des guerres sanglantes, meurtrières... Moi-même, j'avais déjà combattu ses monstres.
Mue d'une détermination féroce, je serrais les poings et m'exprimai. "Je suis à tes ordres, papa", lui promis-je, main sur le cœur, le fixant droit dans les yeux.
Mon père me dévisagea avec fierté, et me mit une main sur l'épaule.
"Pas ce soir, Aaron. Aujourd'hui... c'est à toi qu'incombe la gestion de nos défenses. A toi et au fils de Maât."
"A... moi?", répondis-je, interdit et muet, avant de comprendre subitement. "Ra...".
"Tu as compris. Le soleil va bientôt se coucher, et moi-même, ainsi que Bastet, Seth et la plupart des autres dieux, nous devons défendre la barque de Ra des assauts d'Apophis durant la traversée de la Douât."
J’acquiesçai silencieusement. Si Ra était défait lors de son voyage dans le Royaume des Morts, alors le soleil serait avalé par l'immense serpent-monde Apophis, et notre monde succomberait entièrement au froid. Mon père devait absolument aider le dieu-soleil à parcourir sans encombre le monde souterrain. Décidément, Tiamat avait bien choisi son moment pour attaquer.
Mon père s'approcha de moi, colla son museau et son front contre le mien et ferma les yeux. Je pouvais sentir la chaleur de sa crinière contre la mienne, et une puissante vague de fierté et d'affection m'envahit.
"J'ai confiance en toi, Aaron", murmura-t-il. "Tu l'as déjà fait, et tu le feras de nouveau. La sécurité du royaume repose sur tes épaules cette nuit... et pourtant je sais d'ores et déjà qu’à mon retour, demain matin, nos terres seront en sécurité de nouveau."
Il prit un instant pour me serrer contre lui, caressant doucement ma crinière, avant de me relâcher. Il reprit un ton plus sérieux.
"Horus restera ici également avec toi", poursuivit-il. C'est... plus sage", dit-il en regardant à tour de rôle Horus et Seth se toiser férocement. "De toute façon, Seth a bien plus d'expérience que lui pour défendre la barque du dieu-soleil... Horus guidera nos troupes disposés à l'Est du Nil - Sobek est déjà en train de veiller sur la rive ouest. Le fils de Maât restera à la capitale, et s'occupera de gérer les défenses internes et les populations de mortel retranchés. Quand à toi..."
"... je vais les retenir au sud, près des pyramides", concluais-je en regardant le dernier portail actif non protégé de la carte.
Mon père acquiesça. Seth, qui avait écouté la conversation sans un mot en jouant nonchalamment avec l’une de ses dagues, sortit de la pièce dès que le plan fut exposé. Bastet en fit de même - non sans avoir ébouriffé ma crinière et m'avoir embrassé sur la joue. Horus, avant de s'éclipser, me fit un geste d'encouragement de la main (et de l'aile). Papa me serra contre lui une dernière fois en me disant "je t'aime mon fils" avant de disparaître également.
Je savais par quoi commencer. Je regardai la carte et réfléchit rapidement à un plan d'action . Je voyais qu'une partie de nos armées était déjà disposé en ordre de bataille près des murailles au sud, et que les soldats attendaient mes ordres... Mais...
Je serrai les poings. Une idée venait de germer dans ma tête...
Je savais ce que je devais faire.
Je pouvais empêcher l'arrivée de l'armée de Tiamat au sud durant peut-être quelques heures, retenant au maximum les hordes de démons en-dehors de la capitale. Les affaiblir dans un premier temps pour triompher d'eux dans un second temps. Cela épargnerait peut-être de nombreuses vies dans notre camp.
Je me précipitai hors de la pièce et me dirigeai vers la partie de la citadelle autorisée aux mortels. En bas des escaliers de granit m'attendait un homme de grande stature en cuirasse lourde, son khopesh à la ceinture ; il était basané et à l'attitude fière et digne, du khôl débordant de ses yeux perçants.. Il était chauve et avait une énorme cicatrice sur la joue gauche ; de nombreux tatouages s’étalaient sur son crâne. Entre ses deux yeux était dessiné un troisième oeil - l'Oeil d'Horus, symbole de Protection et de Clairvoyance, tandis que de son cou pendait une Ankh, symbole de Vie.
Le chef des armées mortelles s'inclina bas devant moi, la main gauche sur le cœur.
"Ô grand seigneur, Fils d'Anhur, Gardien Protecteur de notre Chère Égypte, je m'incline devant to...", commença-t-il.
Mais je le relevai et lui mit ma main sur l'épaule ; tête à tête, yeux dans les yeux... je lui souris avec amitié et respect.
"Pas de ça entre nous, cher ami", lui dit-je avec un petit sourire.
Son visage balafré s'émerveilla de fierté... les mortels étaient honorés quand je les traitais comme des égaux. Il leva le bras et mit sa main sur mon épaule également. Par-delà nos statuts respectifs, nous demeurons deux frères d'arme.
"Très bien. Nous vous attendions Aaron... Mes soldats et moi-même sommes à vos ordres. Nous vous prêtons nos armes et nos cœurs, nos épées et nos lances, nos âmes et nos vies, dans cette bataille à venir."
"Je te remercie. Je vous demande, à toi et tes troupes, de rester à proximité de la capitale. Vous avancerez à mon signal".
Sur le coup, il ne parut pas comprendre. "Sauf votre respect... il serait plus sage de mener le combat à distance des murs, commença-t-il.
"Faites-moi confiance. Allez informer vos troupes maintenant."
Devant les doutes qui subsistaient dans ses yeux, j’ajoutai avec autorité, mon rugissement de lion et de meneur prenant le dessus "c'est un ordre, commandant". Il s'inclina de nouveau et s'éclipsa. Je le regardai sortir puis commençai mon ascension du palais.
Grimpant deux à deux les escaliers, ma résolution se transformait lentement mais sûrement en une colère froide. A mon passage, les hiéroglyphes gravés dans les marches se mettaient à scintiller , et les flammes des torches accrochées au mur brûlaient avec de plus en plus d'intensité. Inconsciemment, mon armure apparaissait autour de mon corps, et en un instant, le pendentif à mon cou explosa en une gerbe de sable, avant de se matérialiser dans ma main en la lance divine d'Anhur grandeur nature.
J'arrivai au balcon faisant face aux étendues du sud. Devant moi s'étendait dans la nuit noire une partie de la cité. Plusieurs rangées de pyramides majestueuses s'étalaient de part et d'autres des étendues désertiques. Et au milieu de cet océan de sable se dessinait un portail, une brèche lumineuse et étincelante dans la Réalité, une ouverture vers un autre monde. De ce trou à l'horizon émergeait déjà plusieurs points indistincts mais mobiles, sur la terre comme dans le ciel, qui avançaient en désordre et à différentes allures vers la cité étendue à mes pattes. Mes oreilles de félins percevaient déjà les sons atroces des créatures de Tiamat, les claquements de langue et de dents. Je pouvais sentir leur faim, leur sauvagerie, leur inhumanité...
Tout cela faisait me faisait bouillir intérieurement. Ma rage pure et destructrice commençait à prendre le dessus sur mes sentiments : ces abominations menaçaient mon pays, mon foyer.. mon peuple. Et ils allaient en subir les conséquence.
Telle fut mes dernières pensées avant de lever ma main vers le ciel, de pousser un rugissement tonitruant, et de déverser un torrent de flammes incandescentes sur mes ennemis.
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